Bouger après un cancer diminue le risque de rechute. Et mentalement, on se sent aussi beaucoup plus en forme. Mais attention : inutile de s’y lancer tête baissée. Dosage ! Écoute de soi ! Comment faire quand on a encore la fatigue dans le corps et tant de questions dans la tête ? Nous avons posé la question à Sarah Soenen, kinésithérapeute et spécialisée depuis de nombreuses années en onco-réhabilitation.
Sarah, vous avez eu une leucémie à l’âge de 4 ans et aujourd’hui vous faites de l’onco-réhabilitation votre métier. Un hasard ?
Non, car après mon traitement, je savais déjà ce que je voulais devenir. L’été, cycliste, et l’hiver, médecin (rires). Des années plus tard, j’ai trouvé un métier qui alliait les deux : médical et sportif. Je suis devenue kinésithérapeute. Pour mon mémoire, j’ai étudié l’impact du sport et du mouvement sur la qualité de vie des adolescents après un cancer. Le sujet m’a toujours passionnée. À l’hôpital Sint-Lucas à Gand, j’ai eu l’occasion de développer un programme de réhabilitation pour patientes atteintes d’un cancer du sein. Depuis, tout s’est enchaîné. Aujourd’hui, je propose aussi des séances individuelles en dehors de l’hôpital. Et la satisfaction que cela m’apporte, je ne pourrais plus m’en passer !
Pourquoi l’activité physique après un cancer est-elle si importante ?
On sait tous que la qualité de vie prend un coup pendant un traitement lourd. Physiquement, les patients se plaignent surtout de fatigue. Beaucoup souffrent aussi de douleurs musculaires ou articulaires liées aux médicaments. Et n’oublions pas la dimension mentale : la peur de rechute, le fameux « et maintenant ? », les soucis familiaux ou professionnels… Bouger permet non seulement de reconstruire une condition de base, avec tous les bénéfices physiques qui en découlent. Mais se sentir plus en forme booste aussi la confiance en soi. On croit de nouveau en ses capacités et on rumine moins. L’activité physique aide aussi à retrouver une structure de vie. Beaucoup de personnes pensent que bouger fatigue encore plus, alors que c’est l’inverse : bouger fait du bien au moral, et parce que la tête est plus légère, le corps a envie de continuer à bouger.
Et bouger réduit aussi le risque de rechute, les études le montrent ?
Exactement. Plusieurs études démontrent que l’activité physique régulière diminue les risques de récidive. C’est d’ailleurs une raison majeure pour laquelle les patients viennent me voir après leur traitement. Cela leur donne aussi un sentiment de contrôle : si l’on peut améliorer ses perspectives, il faut saisir cette chance.
Quels conseils donnez-vous aux personnes qui veulent bouger et surtout persévérer ?
Ce que j’essaie d’enseigner chaque jour : doser ! Fixez-vous des objectifs réalistes et ne dépassez pas vos limites. On oublie parfois combien le cancer et la chimio épuisent les réserves du corps. Commencez aussi le plus tôt possible après le traitement. Plus on attend, plus le chemin de retour est long. Je le vois souvent : les personnes qui s’arrêtent plus d’un an reprennent parfois plus lentement une condition que celles qui ont commencé juste après la fin du traitement. Et pour tenir dans la durée, mon conseil le plus important est simple : choisissez une activité que vous aimez vraiment. Bouger en groupe peut aussi stimuler. Se traîner seule avec réticence : personne ne tient le coup comme ça. Planifiez vos séances fixes dans l’agenda, cela aide aussi.
Doser, c’est souvent ce que les gens trouvent le plus difficile. “Écouter son corps”, on l’entend partout. Mais comment fait-on ?
Pas évident. Pour ceux qui ne bougeaient jamais avant, c’est un vrai défi. Mais même les sportifs confirmés ont du mal à cerner leurs “nouvelles” limites après un cancer. J’utilise deux critères dans ma pratique : « que fait l’effort à votre fréquence cardiaque » et « comment vous sentez-vous ensuite ». Tous mes patients travaillent avec un cardiofréquencemètre. Nous calculons la zone idéale d’effort. Parfois, je les laisse exprès dépasser la limite pour qu’ils ressentent ce que signifie aller trop loin. Grâce à ce cadre fixe, ils apprennent vite à repérer leurs limites.
« Comment vous sentez-vous après ? » : c’est une question de raideur, de douleur et de fatigue. Quelle raideur après la séance, et combien de temps avant que ça disparaisse ? Quelle fatigue, et combien de temps a-t-elle duré ? La fatigue liée au cancer est particulière : elle ne disparaît pas avec plus de repos. Elle vous tombe dessus et vous cloue au sol.
C’est ce qu’on apprend en onco-réhabilitation : écouter son corps et reconnaître les signaux. Mais je reconnais que beaucoup de patients ont du mal. C’est une quête, avec un “nouveau” corps. Une de mes principales missions est souvent… de freiner les gens. Ils sortent combatifs de leur traitement, veulent foncer, mais leur corps dit stop. Et c’est dur à accepter.
“Apprendre à doser”, est-ce le plus grand atout d’un programme spécialisé ?
C’est en effet le cœur du programme : reconstruire une condition de base et progresser tout en restant à l’écoute de soi. Avec une attention particulière aux spécificités liées au cancer : c’est mon rôle de kiné. Et puis, il faut que les gens viennent avec plaisir et restent motivés. Une séance de réhabilitation toutes les deux semaines apporte aussi de la structure. Beaucoup parlent du “grand vide” après les traitements. Le rythme des chimios et rayons disparaît, et il faut combler ce vide. Bouger aide à structurer ce quotidien et à préparer le retour au travail. Et puis, n’oublions pas le rôle du contact entre patients. Personne ne comprend mieux ce que vous vivez qu’un autre patient. Mais attention : certains préfèrent l’accompagnement individuel, et c’est tout à fait OK.
Quels sont les meilleurs sports pour se remettre en mouvement après un cancer ?
La marche, le vélo et la natation. « Les sports les plus ennuyeux », j’entends souvent. Mais pas du tout ! Il y a mille façons de les rendre ludiques. Bougez avec des amis, sortez boire un verre après, découvrez de beaux parcours, inventez des petits défis à la piscine… Et pour ceux qui n’y arrivent pas seuls, il existe plein de possibilités d’accompagnement. Autre astuce : j’encourage souvent l’usage d’un podomètre pour viser 10.000 pas par jour.
Vous recommandez de commencer le plus vite possible après le traitement. Mais qu’en est-il PENDANT le cancer ?
Ce n’est pas donné à tout le monde, mais commencer (ou continuer) à bouger pendant le traitement est encore mieux. Bien sûr, c’est plus naturel pour un sportif que pour un débutant. Et il ne s’agit pas d’exploits : marcher ou pédaler doucement peut déjà faire beaucoup. On constate que la récupération est plus rapide ensuite. Et l’activité sort de l’isolement, elle ramène dehors.
Est-ce que tout le monde peut se remettre à bouger après un cancer ?
Chaque personne est différente. Certaines doivent gérer des séquelles d’opérations, de traitements ou de médicaments. Je pense aux patients avec une stomie, ou aux femmes sous hormonothérapie après un cancer du sein. Mais mon rôle est de trouver avec chacun une activité adaptée.
Les attentes jouent aussi un grand rôle. Que veulent les gens eux-mêmes ? Pour certains, monter les escaliers sans être essoufflé est déjà une victoire. D’autres rêvent de gravir le Mont Ventoux dans trois ans. Tout commence par des objectifs réalistes. Après un cancer, il faut souvent ajuster ses ambitions. C’est dur, de baisser la barre. Mais accepter ses limites et trouver malgré tout une activité qui plaît, c’est toujours meilleur pour le corps et l’esprit que de rester assis à ruminer ce qu’on ne peut plus faire. Je le constate chaque jour.
Cet article vous a donné envie de bouger ?
- Parlez-en à votre médecin ou votre infirmier. Beaucoup d’hôpitaux proposent des programmes spécialisés. Certaines mutuelles offrent aussi des activités adaptées. Votre traitement est déjà derrière vous ou vous souhaitez un suivi individuel ?
- Sarah propose des séances d’onco-réhabilitation au sein du cabinet K-fit à Gand (Brelgique) , mais il existe sans doute aussi des kinés, coaches ou pros spécialisés près de chez vous. Votre médecin pourra vous orienter.